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Les suggestions d’écoute du directeur artistique Scott Thomson
On m’a demandé de colliger une liste d’enregistrements qui brossent une histoire de la musique actuelle, une sorte d’introduction pour les néophytes. Cela m’a semblé déraisonnablement ardu, puisque ce domaine couvre plusieurs décennies, s’étend à tous les continents et a intégré ou s’est inspiré d’à peu près tous les genres musicaux et toutes les techniques… Sans oublier le fait que je n’ai pas tout entendu, moi ! C’est impossible ! Chaque fois que je tente de saisir l’essence de la musique actuelle, elle semble avoir encore repoussé ses propres frontières, de manière exponentielle. Parce qu’elle s’abreuve à la créativité et à l’âme de l’humanité, on ne peut pas prétendre la connaître complètement ni la réduire à une courte liste d’enregistrements.
C’est pourquoi, au lieu d’une liste d’albums, je vous propose cinq étiquettes de disques qui ont été mes terrains de découvertes quand j’étais jeune auditeur. Étant moi-même commissaire, j’ai une affinité particulière pour le rôle d’une étiquette qui évoque, reflète, produit, réfracte — organise — l’esthétique des artistes qu’elle publie et qui génère (à différents degrés) des carrefours transgéographiques et transtemporels de pratiques artistiques… un peu comme un champ ou un sous-champ d’influence. C’est pourquoi les amateurs de jazz comprennent si bien l’expression « le son Blue Note ». Les étiquettes ci-contre, bien qu’elles soient moins connues que Blue Note Records, ont cherché à faire quelque chose de similaire dans leur coin de la carte des musiques actuelles. Chacune a su capter mon attention lorsque j’ai commencé à explorer ces territoires.
Cette liste, comme toute liste, est réductrice et appauvrie par ses nombreuses omissions. En fait, elle aurait pu être cinq fois plus longue. Évidemment, les personnes qui s’intéressent aux musiques présentées au FIMAV doivent se tourner vers l’étiquette affiliée au festival, Les Disques Victo, toujours dirigée par notre directeur artistique fondateur Michel Levasseur. Néanmoins, je crois que les magnifiques offrandes de ces cinq étiquettes illustrent parfaitement ce qu’est la musique actuelle, où elle se fait, comment et par qui. Chose certaine, celles-ci ont façonné ma conception de ce champ musical tel qu’il existe aujourd’hui.
Hat Hut (Hat Art, Hatology, etc.)

Cette étiquette suisse a été fondée en 1974 afin de documenter la musique du compositeur et multi-instrumentiste américain Joe McPhee. Or, elle a aussi publié, dans diverses séries, des albums importants (voire essentiels) d’Anthony Braxton, de Cecil Taylor, de John Cage, du Vienna Art Orchestra, de Steve Lacy, de Franz Koglmann, de John Zorn, de Pauline Oliveros, de Gerry Hemingway, de Paul Plimley, et j’en passe des tonnes. Prises ensemble, ces parutions rapprochent diverses pratiques, comme la composition contemporaine, la composition et l’improvisation jazz, la musique électronique et l’improvisation libre, le tout présenté avec discernement, une excellente qualité sonore en général, une facture visuelle dynamique et distinctive et un appareil critique. https://www.hathut.com/
FMP/Free Music Production

Fondée sous forme de coopérative à la fin des années 1960, cette étiquette berlinoise est éventuellement passée sous la seule direction de Jost Gebers. On y trouve des albums cruciaux de cette époque signés Peter Brötzmann (qui a aussi participé de manière importante à la conception graphique), Alexander von Schlippenbach, Peter Kowald, Globe Unity Orchestra, etc. Hat Hut ratisse plus large, au chapitre des démarches artistiques, tandis que FMP plonge plus loin dans le nouvel expressionnisme issu des mouvements allemands du free jazz et de l’improvisation libre, ainsi que de leurs équivalents ailleurs en Europe (mais pas exclusivement). Cecil Taylor in Berlin ’88, un projet de onze CD qui présente le grand pianiste américain collaborant pour la première fois avec de nombreux musiciens européens de premier plan, justifie à lui seul le titre d’étiquette indispensable. https://destination-out.bandcamp.com/
Tzadik

Lorsqu’il fonde l’étiquette Tzadik en 1995, John Zorn est déjà reconnu comme un compositeur, un saxophoniste et un réalisateur hors normes, le pivot de la scène new-yorkaise Downtown qui s’est épanouie dans les années 70 et 80. Néanmoins, qui aurait cru à l’époque que cette nouvelle étiquette publierait plus de 900 albums (et ça continue) couvrant le rock, le bruitisme, l’improvisation libre, la musique klezmer, la musique contemporaine, la musique de film et de nombreux autres genres. Outre les œuvres de Zorn, on y trouve des albums de Derek Bailey, Ikue Mori, Arnold Dreyblatt, George E. Lewis, Merzbow, Wadada Leo Smith et Mike Patton, et ce ne sont que quelques-uns des joyaux de son stupéfiant catalogue. https://www.tzadik.com/
Ambiances Magnétiques

Cette étiquette montréalaise et le FIMAV ont grandi ensemble au fil des quarante et quelques dernières années, chacun influençant l’autre à travers son évolution. Il était donc crucial de l’inclure dans cette liste. Gérée en collectif au début, puis par la compositrice-saxophoniste Joane Hétu pendant des décennies, on y trouve des œuvres majeures de la musique actuelle québécoise signées Martin Tétreault, Michel F. Côté, Robert Marcel Lepage, Jean Derome, l’Ensemble SuperMusique, Diane Labrosse, Lori Freedman et plusieurs autres, des artistes associés depuis longtemps à la programmation du FIMAV. Soulignons que, récemment, la direction d’Ambiances Magnétiques et de son volet distribution DAME a été confiée au Quatuor Bozzini, un développement qui promet de grandes choses pour l’avenir de cette institution et de la musique actuelle dans son ensemble. https://ambiancesmagnetiques.com/fr/accueil
Thrill Jockey

Connaisseures et connaisseuses auront remarqué que mes quatre premiers choix penchent plutôt vers les musiques issues de la pratique de l’improvisation libre, un des principaux foyers de ce que je considère être l’éthos créatif de la musique actuelle. Toutefois, et comme le démontre amplement l’histoire du FIMAV, les musiques issues du rock sont partie intégrante de ce champ musical. Tortoise, Trans Am et d’autres artistes de l’étiquette Thrill Jockey, avec leurs innovations post-rock, ont joué un rôle vital dans cette mouvance, d’autant plus qu’ils entretiennent des liens avec des figures du free jazz de Chicago comme Fred Anderson, Hamid Drake et Chicago Underground. Une bonne partie de la musique publiée par Thrill Jocket est d’un type trop populaire pour être présentée dans un festival de musique actuelle, mais les pans de son catalogue qui repoussent les limites sont absolument indispensables, à mon avis, ne serait-ce qu’à cause de l’impact qu’ils ont eu sur ma vie lorsque je les ai découverts, encore jeune auditeur. https://www.thrilljockey.com/index

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